Composition/introspection : Sonata pour piano. Une expérience de recherche et de création musicale (Lire et écouter sur Soundcloud Alessandro Milia Composer)

L’auto-analyse de Sonata (2013) pour piano seul a mis en lumière l’esquisse d’un style synthétique, expression des recherches compositionnelles les plus avancées des dernières décennies. Nous avons essayé de réagir aux impulsions données par l’analyse des sonates pour piano de Horatiu Radulescu et par les pièces pianistiques de Franco Oppo. La notion de dérivabilité de Antonio Lai (Lai 2002)1 a stimulé notre réflexion à de nombreuses reprises. De même, les textes de Michel Imberty (Imberty 2002a et 2002b)2 nous poussent à approfondir dans l’avenir la recherche sur les figures archaïques naturelles d’écho car ce sont des systèmes de répétition-variation sur lesquels la communication humaine se fonde. Dans Sonata, nous avons élaboré notre stratégie personnelle de composition axée sur des relations entre une multitude de variantes organisées en catégories morphologiquement unitaires : car chaque catégorie repose sur une unité-modèle spécifique. Ce procédé de création par variantes nous a permis de gérer le temps musical d’une manière personnelle. L’œuvre devient le « lieu » où plusieurs unités sonores trouvent leurs parcours de développement au même moment. La pièce est un cheminement linéaire qui cache une multiplicité de processus logiques musicaux qui doivent inévitablement cohabiter (synchroniquement ou séquentiellement). Dans ce « lieu » spatio-temporel, la mémoire de l’auditeur est appelée à reconstruire une linéarité temporelle (ou mieux plusieurs linéarités temporelles), dégradée(s) par notre stratégie des répétitions variées éparpillées dans l’œuvre. Autrement dit, plusieurs processus logiques de variantes avancent selon une stratégie d’alternance ou de superposition. Notre démarche compositionnelle a quelque chose de similaire à la figure rhétorique classique de la digression (écouter sur Soundcloud Alessandro Milia Composer).



Le contexte de création

Sonata pour piano seul est un projet de création né à la suite d’une commande du musicologue italien Luigi Pestalozza3. À l’occasion du Festival Musica Extra Mœnia, qui s’est déroulé en 2013 à Milan, Pestalozza a invité quelques jeunes compositeurs à écrire de nouvelles œuvres pour piano seul. Les créations pour clavier étaient inscrites dans les cycles de concerts Il Pianoforte Extra Mœnia – à savoir le piano hors les murs – un cycle consacré aux musiques de recherche pour clavier présentant des caractéristiques hors du répertoire normalement exploité dans les salles de concert. Cet événement a réuni trois importants pianistes travaillant à Milan : Alfonso Alberti, Orazio Sciortino et Stefano Ligoratti. Nous avons travaillé avec Stefano Ligoratti et notre projet Sonata lui est dédié. Les musiques Extra Mœnia étaient des créations mais également des œuvres plus anciennes jouées rarement ou jamais4.

En acceptant la proposition de Pestalozza nous avons pensé aborder un projet compositionnel pour clavier répondant à la vocation de ce festival. Nous avons essayé de composer une musique de style expérimental mais qui, en même temps, pouvait être mise en relation avec plusieurs traditions du passé. Ces traditions sont liées aux musiques pour clavier et à l’histoire et à l’évolution de la forme musicale spécifique pour piano. Notre projet très ambitieux prévoit ainsi d’observer quelques principes de la forme sonate et du style symphonique car ils font partie des principes les plus importants de la musique européenne. Mais aussi de transformer ceux-ci selon notre vision actuelle de la forme du son.

D’autres parties formelles de notre pièce Sonata se sont inspirées d’un style ornementé donnant l’impression d’une improvisation en référence à des époques plus anciennes. Ce caractère peut être mis en relation avec des styles ornementés joués au clavecin et également avec des musiques provenant de la tradition orale, par exemple des musique improvisées par des joueurs de flûte folklorique ou des musiques pour launeddas sardes.

Nous évoquons de très loin des traditions diverses mais notre objectif est notamment de composer une pièce expérimentale car ceci était depuis l’origine du projet le souhait du commanditaire. Dans Sonata l’expérimentation repose sur des éléments du timbre, de la syntaxe du langage musical, de l’articulation et de la métrique parmi d’autres composantes. Mais d’un point de vue de l’avancement du langage musical, nos efforts visent surtout à produire une forme musicale ample, riche de connexions entre les diverses parties qui composent l’œuvre. Nous essaierons de produire une architecture formelle expérimentale dans le but de guider l’auditeur dans une expérience temporelle à travers les composantes de l’œuvre qui se transforment.

Dans une autre optique visant à nous mettre en connexion avec les styles les plus innovateurs de notre temps, nous avons eu besoin de nous référer à des compositeurs actuels afin de pouvoir développer un type d’écriture pour piano. Nous avons commencé à analyser des œuvres pianistiques récentes et nous nous sommes longtemps attardé sur les cycle Lao Tzu : Tao Te Ching Piano Sonatas de Horatiu Radulescu, sur les pièces pianistiques de Franco Oppo, comme Gallurese (1989) et Baroniese (1993), et d’autres musiques comme les œuvres pour piano seul de Salvatore Sciarrino, citons entre autres Due Notturni Crudeli (2001).

Dans cette étape du projet de création musicale notre recherche universitaire musicologique s’est révélée déterminante pour l’invention de nos techniques de composition pour clavier et de notre style expérimental pour piano. Dans ce cas spécifique, les recherches et les analyses musicales sur le langage musical d’Oppo et de Radulescu sont profondément liées à l’écriture de notre pièce pour piano seul. En vérité, notre recherche d’un style pianistique personnel a commencée vers 2011 durant la composition d’un autre morceau pour clavier qui précède Sonata, nous nous referons à Sound’s Transcendence (2012) pour piano à quatre mains.


 La forme globale de Sonata

Sonata est un travail de création musicale élaboré entre la fin de 2012 et les premiers mois de 2013. Pour être plus précis, la pièce a été composée en cinq semaines de travail. Terminée le 7 février 2013, elle a été créée le 11 juin de la même année par Stefano Ligoratti à l’Auditorium Puccini du Conservatoire Giuseppe Verdi à Milan. La partition de Sonata est publiée en Italie par la maison d’éditions musicales ArsPublica (Camino al Tagliamento – Udine, 2014).

L’œuvre est constituée d’un mouvement unique de la durée d’environ quatorze minutes. Elle s’articule en neuf phases diverses mais sans interruptions durant lesquelles nous pouvons saisir deux matériaux différents et contrastants qui s’alternent. Nous avons essayé de créer une certaine différenciation entre la morphologie du premier matériau et celle du deuxième, en nous référant au principe du contraste formateur caractérisant la forme sonate à l’époque classique-romantique.

Les diverses parties de la pièce ont des fonctions formelles bien définies et leurs durées temporelles sont déterminées par un système d’augmentations ou de diminutions graduelles. Comme on peut l’observer dans le tableau qui suit, il existe des parties formelles ayant une fonction de présentation du matériau (les parties A et B), plusieurs parties d’élaboration et d’autres ayant une fonction de contraste (parties de la catégorie B). Ces dernières sont également dynamiques et évoluent. Cependant, elles sont normalement plus courtes des parties formelles de la catégorie A et font office de matière complémentaire. La dernière partie formelle (AB) clôture la pièce. Elle a la fonction de coda dynamisée et représente une tentative de fusion entre les différentes composantes de l’œuvre.

Tableau 1 : schéma formel de Sonata (2013).

Partie

Fonction

A

Exposition du premier matériau

B

Contraste I – exposition du second matériau

A1

Elaboration I du premier matériau

B1

Contraste II – rappel dynamique du seconde matériau

A2

Elaboration II du premier matériau

B2

Contraste III – élaboration du second matériau

A3

Elaboration III du premier matériau – rappel dynamique

B3

Contraste IV – grande élaboration du second matériau

AB

Coda – fusion de quelques aspects des deux matériaux

Le premier matériau, appelé A, est axé sur un langage musical abstrait. Nous avons essayé de générer des structures musicales amorphes. En réalité, elles ne sont pas du tout sans forme définie, ces structures sont rigoureusement sculptées pour apparaître comme amorphes. Il s’agit de quelques unités sonores primordiales de sens avec la fonction de modèle qui sont ensuite projetées dans le temps de la pièce par de nombreuses variantes permettant de transformer un « instant » musical en une multitude d’instants dérivés du premier.

Selon notre technique compositionnelle, une unité de sens primordiale peut être rappelée dans une variante du modèle légèrement différenciée où nous changeons seulement un paramètre du son, par exemple le timbre. Pourtant, la même unité modèle peut assumer des variantes plus complexes à travers une dynamisation importante de la matière, une augmentation, à travers l’articulation de la texture par prolifération des unités microscopiques de sens. Ce fait nous amène à présenter à l’auditeur une composante de notre musique selon des différenciations temporelles. La même unité peut être exposée pendant 1 seconde, ensuite pendant 2, 3, 4 secondes, jusqu’à un temps bien plus ample, 30 secondes par exemple. Par l’inversion du processus, nous pouvons également obtenir des contractions temporelles de la matière sonore.

Notre approche compositionnelle nous permet de travailler autour du temps et autour des variations d’exposition temporelle d’une unité musicale. Le fait de ré-exposer des matériaux musicaux plusieurs fois implique également des relations à distance et l’édification d’un parcours intelligible, labyrinthique et arborescent à l’intérieur de l’espace temps de l’œuvre.

Le second matériau, appelé B, est issu d’un travail d’imagination stimulé par notre recherche sur la musique de tradition orale. Radulescu parle à ce propos de « folklore imaginaire » car il avait inventé des monodies s’en référant à des musiques ancestrales de Roumanie (Lai 2005b)5.

L’analyse des musiques de Radulescu nous a permis de considérer que l’imitation de l’oralité pouvait être possible. Dans notre approche, il s’agit d’une suggestion très lucide et naturelle. « Notre » oralité imaginaire est spécialement nourrie de musiques sardes que nous connaissons depuis l’enfance. Il ne s’agit pas d’un exercice d’invention dans un style inconnu ou d’un emprunt sans raison d’être, mais d’une influence plus profonde car l’impulsion pour cette inversion provient de l’intérieur et non pas de l’extérieur.

L’objectif de ce travail imaginatif influencé par la tradition orale n’est pas de reproduire un style en particulier, fidèle à une esthétique ou rappelant une pratique spécifique de la tradition, mais au contraire il s’agit d’un style très personnel donc finalement d’un style d’aujourd’hui et non d’un exercice d’écriture.

Nous avons inventé des archétypes qui puissent donner l’illusion d’un joueur de flûte, un agriculteur ou un berger jouant d’une petite flûte en bambou. Une flûte qui ne peut jouer que quelques hauteurs. Nous avons également imaginé un joueur sarde de launeddas archaïques. Nous pensons également à de simples mélodies pour enfants, comme des berceuses de la tradition populaire. Nous avons ainsi composé des fragments mélodiques élémentaires constitués de quelques hauteurs (de deux à cinq), où souvent des rapports harmoniques fondamentaux résonnent, comme l’intervalle de quarte ou de quinte.

Cette approche de l’oralité nous a permis le développement de la technique compositionnelle de construction mélodique de base. L’aspect linéaire n’est pas très souvent développé dans la musique contemporaine européenne car l’invention mélodique est fortement liée à la période précédente de la tonalité harmonique.

Dans Sonata, les deux catégories de matériaux (A et B) représentent deux états divers du langage musical. Le premier matériau (catégorie A) est abstrait et amorphe, il est dominé par des agrégats spectraux complexes et par des techniques d’élaboration liées à la tradition savante ancienne et contemporaine. En revanche, le second matériau (catégorie B) est caractérisé par un style plus simple évoquant un univers ancestral régi par des relations primordiales entre les sons. Ce style simple se fonde sur l’improvisation (apparente, car en vérité il s’agit d’un style très surveillé) et sur l’ornementation. Par rapport au premier style, le style du matériau de la catégorie B présente une organisation plus naturelle et spontanée axée sur l’invention de mélodies et hétérophonies élémentaires.

L’utilisation de plusieurs styles dans la même pièce est déterminée par notre intérêt vers les langages musicaux hybrides et synthétiques dans le sens qu’ils incluent plusieurs composantes diverses, contrastantes et complémentaires ensuite unifiées. L’existence de différentes idées musicales dans la même œuvre peut favoriser la possibilité de créer des relations entre les unités sonores et de parvenir ultérieurement à de nouvelles composantes.

On pourra à présent compléter le schéma formel de l’œuvre exposé précédemment dans le tableau 1. Dans le tableau 2 on ajustera les dénominations et les caractéristiques de chaque partie formelle et tracer également une indication de la dimension des sections musicales en terme de mesures. Il faut toutefois considérer que nous utilisons des métriques très diversifiées selon les caractéristiques de la matière sonore, ainsi une mesure peut être un espace temporel très ample ou microscopique :

Tableau 2 : schéma formel de Sonata (2013) avec la dénomination de chaque partie formelle.

Partie

Fonction

Dénomination et Caractère

Mesures

1

A

Exposition du premier matériau

Cristalli e Specchi/Cristaux et Miroirs

Moderato

Mes. 1-36

(36)

2

B

Contraste I – exposition du second matériau

Pastorale

Più Rapido

Mes. 37-39

(4)

3

A1

Elaboration I du premier matériau

Cristalli e Specchi/Cristaux et Miroirs

Moderato

Mes. 40-66

(27)

4

B1

Contraste II – rappel dynamique du second matériau

Pastorale

Più Rapido

Mes. 67-74

(8)

5

A2

Elaboration II du premier matériau

Metalli/Métaux

Moderato

Mes. 75-93

(19)

6

B2

Contraste III – élaboration du second matériau

Pastorale

Più Rapido

Mes. 94-109

(16)

7

A3

Elaboration III du premier matériau – rappel dynamique

Vuoto/Vide

Rapido en Rallentando

Mes. 110-130

(22)

8

B3

Contraste IV – grande élaboration du second matériau

Ancestrale

Lento

Mes. 131-139

(10)

9

AB

Coda – fusion de quelques aspects des deux matériaux

Coda

Più Lento

Mes. 140-150

(11)

Le schéma formel de Sonata est géré par un principe de diminution des parties formelles de la catégorie A. Dans le tableau 2, on peut saisir comment la durée temporelle des parties formelles A, A1, A2, A3 diminue à chaque ré-exposition :

A : 36 mesures (Moderato)

A1 : 27 mesures (Moderato)

A2 : 19 mesures (Moderato)

A3 : 22 mesures (plus rapide et en rallentando)

Tandis que les parties formelles B, B1, B2 et B3 sont régies par un principe d’augmentation temporelle, à savoir, à chaque ré-exposition du matériau de la catégorie B la durée temporelle et la « quantité » de matière sonore sera presque doublée :

B : 4 mesures

B1 : 8 mesures

B2 : 16 mesures

B3 : 10 mesures

(B3 est une partie très lente donc plus ample, environ le double de B2)

La partie formelle AB clôture la pièce. Elle est relativement courte. Dans cette section, nous avons essayé de réutiliser plusieurs caractéristiques des catégories A et B déjà exploitées au cours de Sonata. On utilise par exemple des aspects harmoniques, métriques, rythmiques, des accentuations et d’autres aspects qui sont tous unifiés et fondus entre eux afin de trouver une nouvelle élaboration différente des précédentes.

Comme dans d’autres pièces – Musica per quartetto d’archi …gli universi isomorfi (2013) et L’Uovo di Brancusi (2014) – dans Sonata chaque partie de la forme possède également une dénomination qui souligne son caractère. Les parties formelles A et A1 sont appelées Cristalli e Specchi/Cristaux et Miroirs. Nous rappelons que ces parties de la forme sont dominées par un style abstrait en référence à une esthétique contemporaine très expérimentale. L’évocation des minéraux et des miroirs est une indication qui nous suggère que la matière sonore sera particulièrement articulée selon des structures amorphes visant à déformer les figures musicales. Comme différents miroirs peuvent, selon leur position et leur nature, déformer une image. Pensons à un endroit ou une architecture faite de miroirs. Nous faisons aussi appel à une autre matière : la pierre. On pense également au monde minéral – à des formations minérales dans une grotte – pour donner le sens de notre musique construite par sédimentation de variantes dérivées d’un même modèle et caractérisée par une évolution organique et cohérente. La métaphore du cristal minéral est pareillement adoptée pour mettre en lumière les relations proto-spectrales à la base de l’élaboration harmonique dans Sonata.

Dans la partie formelle A2 nominée Metalli/Métaux, le matériau musical est axée sur des structures verticales en accords et sur des sons isolés répétés à des vitesses diverses et sur des tessitures diverses. L’évocation du métal est donc une métaphore décrivant un univers sonore percussif et résonant, harmonique et inharmonique à la fois, cristallin comme le son d’un triangle, mais également « miroitant » comme le son d’un jeu de cloches, ou encore « concret » comme des coups de marteau sur une enclume.

La partie formelle A3 appelée Vuoto/Vide, subit un processus d’épuration. Nous faisons émerger des structures de base que nous avons exploitées d’une façon plus densifiée et articulée dans les parties formelles précédentes. Dans la partie A3 nous travaillons seulement sur quelques éléments isolés du matériau A en cherchant à donner le sens d’un espace vide. Les sons s’éloignent de plus en plus par un processus de rallentando et la distance toujours plus grande entre eux provoque un sens de dépaysement et d’espacement qui se traduit en un arrêt psychologique du temps. Un sens de solitude, de mélancolie et de manque de tension peut ainsi surgir.

Les parties formelles B, B1 et B2, portent la dénomination Pastorale, tandis que, la partie B3 est appelée Ancestrale. Pastorale évoque le monde des joueurs d’instruments de la tradition musicale orale comme les flûtes en bambou ou les launeddas. Ancestrale indique un traitement de la matière sonore liée à des techniques très anciennes. Par exemple dans la partie B3, Ancestrale, nous cherchons à donner une évolution de nature polyphonique au matériau B, qui était né comme matériau mélodique issu d’un processus imaginatif personnel stimulé par la musique de tradition orale. Dans cette partie formelle B3 aux cinq hauteurs de la mélodie originale utilisée dans la partie formelle B, sont intégrées cinq hauteurs complémentaires qui sont exploitées pour construire un véritable contrepoint primordial. Cette intégration provoque une élaboration allant dans le sens du simple vers le complexe car nous passons du diatonisme élémentaire à des phases chromatiques plus complexes.

Si les parties formelles internes de l’œuvre possèdent des dénominations diverses évoquant des métaphores entre matière et son, ou rappelant des catégories, nous n’avons jamais tenté de donner un titre autre que Sonata à notre projet compositionnel. Cette pièce présente de nombreuses composantes à l’intérieur et le titre générique de Sonata – dans toutes les acceptions possibles sans référence à une époque spécifique de l’histoire – regroupe et représente de manière exhaustive le contenu de l’œuvre.

Pour l’analyse intégrale de Sonata de Alessandro Milia voir :
Variations et variantes dans l’oralité et dans la création musicale expérimentale. Le langage musical de Franco Oppo, Horatiu Radulescu et Alessandro Milia, Thèse de doctorat, École doctorale « Esthétique, Sciences et Technologies des Arts », Université Paris 8 et Università Ca’Foscari di Venezia.

Épilogue de l’introspection

Cette expérience de création musicale est le résultat de la synthèse de nos recherches universitaires musicologiques à caractère scientifique-humaniste et la tentative d’édification d’un style compositionnel personnel. En particulier Sonata, parmi d’autres œuvres de notre modeste production, est issue du croisement de deux domaines, celui de la recherche musicale et celui de l’invention musicale.

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Sonata a représenté l’occasion d’expérimenter une utilisation spécifique de la technique compositionnelle des variantes, technique déjà observée dans les styles de plusieurs compositeurs contemporains et dans des musiques de tradition orale de la Méditerranée et de l’Europe de l’Est.

Notre projet était d’explorer des styles divers caractérisants toute l’histoire du clavier, d’emprunter des éléments du passé et de les modifier pour les évoquer, transformés, dans notre univers sonore actuel. En particulier, nous avons essayé de développer une technique compositionnelle de gestion des rappels à distance temporelle des différents matériaux musicaux utilisés dans la pièce. Notre but est de vivre l’audition comme une expérience temporelle et sensorielle nouvelle à travers l’écoute d’une texture sonore labyrinthique, ramifiée et riche de relations à distance dans le temps de l’œuvre.

La forme musicale de notre Sonata est caractérisée par des contrastes entre les différentes idées musicales et par des ruptures soudaines entre les sections formelles de la pièce. Cette fragmentation violente donne à la pièce une dimension architecturale plurielle. Du point de vue sensoriel, les ruptures soudaines visent à déchirer de manière brutale la forme musicale. Ainsi la perception de l’auditeur reste vigilante. Le discours musical se déroule sur des plans divers et dans des espaces temporels divers : le micro-formel (particules infinitésimales), l’humain-langagier (forme musicale traditionnelle, syntaxe verbale et musicale, timbre, harmonie et contrepoint traditionnels, rythme et articulations) et le macro-formel (stratification géologique des matériaux sonores dans le temps de l’audition et dans la mémoire de l’auditeur).

« Les processus de la musique nouvelle sont intimement liés à la perception d’une profondeur de l’espace. L’impression d’espace résulte de la tension qui persiste entre les trois niveaux d’intégration, d’échelle différente [micro, ordinaire et macro]. Le ressort principal des tensions n’est plus l’harmonie, ni même l’orchestration, mais la multidimensionnalité du matériau, la diversité de ses structures d’ordre. Un processus d’une certaine échelle ne se déploie qu’en opposition à ceux des autres échelles » (Dufourt 2014 : 342)6.

Dans Sonata nous avons l’impression de vivre dans plusieurs mondes sonores superposés. Les ruptures formelles soudaines sans aucune préparation provoquent dans l’individu un sens de déracinement et de mélancolie. Les relations temporelles à distance entre les différentes composantes de l’œuvre provoquent une attente de la part de l’auditeur pour le retour d’un même matériau musical ainsi qu’un sens de nostalgie pour l’absence du même matériau musical lors de l’audition des sections contrastantes.

Dans Sonata, nous nous aventurons dans un style compositionnel hétérogène et hybride. Un style musical issu de processus de création divers où nous avons utilisé des procédures intuitives et également d’autres processus compositionnels préétablis et stables selon des critères plus contrôlés.

« La musique des années 1990 a vécu sous l’emprise du programme génétique. Elle a procédé par recombinaison et réassortiment de caractères. La dialectique des mutations aléatoires et du message héréditaire fut son modèle, sinon son fantasme. Les microprocessus dominent et entraînent la musique de la surface vers la profondeur. […] Dans la musique toute récente, c’est plutôt la confrontation intercatégorielle qui prévaut, qui explore un régime d’objets hybrides et de mixité méthodique. Il s’agirait plutôt d’une dialectique entre les effets de surface et les effets de profondeur » (ibid. : 341).

Dans ce chapitre, nous avons essayé d’articuler notre auto-analyse musicale autocritique de Sonata dans le but primordial d’illustrer les différentes étapes de création musicale depuis la genèse de l’idée musicale jusqu’à la structuration détaillée de l’œuvre et sa création.

À travers notre introspection, nous avons essayé d’éclaircir et d’indiquer par quelles méthodologies la recherche musicologique, la création et l’invention musicale peuvent se rencontrer, devenir un domaine hybride et un « espace » de formation pour la pensée de l’artiste compositeur chercheur.


(Extrait, Variations et variantes dans l’oralité et dans la création musicale expérimentale. Le langage musical de Franco Oppo, Horatiu Radulescu et Alessandro Milia, Thèse de doctorat, École doctorale « Esthétique, Sciences et Technologies des Arts », Université Paris 8 et Università Ca’Foscari di Venezia).

1 LAI Antonio, 2002 : Genèse et révolution des langages musicaux, Paris, L’Harmattan, Coll. « Sémiotique et Philosophie de la Musique ».

2 IMBERTY Michel, 2002a : « La musica e l’inconscio », in Enciclopedia della musica – Il Suono e la mente – Volume IX, Milano, Einaudi, (Ed. Einaudi per Il Sole 24 ORE, 2006), p. 335-360.

IMBERTY Michel, 2002b : « La musica e il bambino», in Enciclopedia della musica – Il Suono e la mente – Volume IX, Milano, Einaudi, (Ed. Einaudi per Il Sole 24 ORE, 2006), p. 477-495.

3 À cette époque nous étions déjà en contact grâce à des collaborations en 2011 avec la revue musicale Musica/Realtà dirigée par Pestalozza. Notre candidature a été soutenue également par le compositeur Antonio Doro.

4 Par exemple des inédits pianistiques de Giacinto Scelsi et de Ludwig Van Beethoven. Des œuvres rares de Franz Listz, d’Alexander Skrjabin, de Leóš Janàcek, des musiques de Gian Francesco Malipiero, d’Emanuele Borgata (1809-1889), d’Aaron Copland et d’Henry Cowell. Des pièces peu répandues comme la Piano Sonata, Fur Frau M. Wasendonck (du 1863), de Richard Wagner. Et aussi Toshio Hosokawa, Misato Mochizuki et Kenji Sakai. Parmi les contemporains : Stefano Gervasoni, Pasquale Corrado, Antonio Covello, Alessandro Milia, Silvia Pepe, Giovanni Cospito, Agostino di Scippio, Francesco Galante, Francesco Giomi, Walter Prati, Alessandro Melchiorre, Giovanni Damiani et Adriano Guarnieri.

5 LAI Antonio, 2005b : « Le langage spectral de Horatiu Radulescu », in L’Education Musicale, Novembre/Décembre 2005 n°527-528, pp. 50-56.

6 DUFOURT Hugues, 2014 : La Musique spectrale. Une Révolution epistémologique, Le Vallier-Sampzon, Editions Delatour France, coll. Musique et Philosophie.

 

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